EUPJ Torah

Lech L’cha – Français

Ten Minutes of Torah

Porter l’alliance dans le futur

de Rabbin Lea Mühlstein (traduction par Celia Naval)
«L'Éternel dit à Abram: Va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai; je rendrai ton nom grand et tu seras une source de bénédiction.« (Genèse 12:1-2)

Parashat Lech L’cha s’ouvre sur un appel fort, commandant à Abram de quitter sa terre, sa famille et le foyer de son père, pour voyager vers l’inconnu. Pourquoi Dieu envoie-t-il Abram voyager afin d’apporter la promesse sur de nouvelles terres?

Selon Genèse Rabah 38:13, un midrash célèbre, le voyage de Lech L’cha débute lorsqu’Abram s’oppose aux normes établies par son père Terach. Chargé de surveiller l’echope d’idoles de Terach, Abram a brisé toutes les statues. Pour cet acte de défiance, il est contraint à s’enfuir, emportant seulement avec lui sur son chemin vers une destination inconnue, la promesse de Dieu.

La spécialiste contemporaine de la Torah, l’écossaise-israélienne Avivah Gottlieb Zornberg fait remarquer que le commandement « lech l’cha »  littéralement « va vers toi-même, n’est pas juste une sommation de partir de chez soi, mais un appel à mettre en jeu jusqu’à son identité-même. Voyager vers l’avenir équivaut à devenir autre. Cette perception relie l’histoire biblique à la suite de l’expérience juive : se charger de la promesse implique souvent de s’exposer soi-même, sa sécurité et ses certitudes afin de renouveler la vie juive.

De nombreuses générations après Abram, un autre juif a été contraint de partir de chez lui parce qu’il se rebellait contre les normes de son époque. Alors que Isaac Mayer Wise (1819-1900) est sans doute le plus connu pour avoir établi en 1873 l’Union de Congrégations Hébraïques Américaines (aujourd’hui URJ), Hebrew Union College en 1875 et le Central Conference of American Rabbis en 1889, sa propre histoire de lech l’cha est probablement moins connue.

En Bohème du 19e siècle, la loi Familiants a limité le nombre de juifs autorisés à se marier lors d’une année donnée, condamnant de nombreux au célibat ou à l’exil. Le Rabbin Isaac Weiss, comme on l’appelait à l’époque, exerçait dans la ville de Radnice en Bohème, où il officiait à des mariages interdits, ce qui le  conduisait à de la persécution. En 1846, il s’est déguisé, s’est enfui à bord d’une charrette de ferme et émigra avec sa famille aux États Unis. Comme Abram, Wise refusa de se soumettre aux normes de son époque. Il partit des terres tchèques vers l’inconnu, transportant avec lui l’alliance qu’il planta de nouveau sur l’autre rive de l’océan, apportant avec lui les concepts du judaïsme réformé européen qui allait s’enraciner et éclore sur le terreau américain.

L’histoire de la persécution de Rabbi Wise annonçait l’épisode la plus sombre de l’histoire juive tchèque. La Shoah a brisé une communauté autrefois vibrante. Lorsque les juifs tchèques se sont aperçus du grave danger qu’ils couraient, ils ont rassemblé les  rouleaux de la Torah du pays, au Musée juif de Prague où ils espéraient qu’ils soient en sécurité. Alors qu’un grand nombre de juifs tchèques ne sont pas revenus des camps – même les conservateurs du musée n’ont pas été épargnés, plus de 1500 rouleaux ont survécu.

Quand les rouleaux furent redécouverts après la guerre, une société gérée par le gouvernement tchèque, prit contact avec un marchand d’art de Londres qui se rendait régulièrement à Prague afin d’acheter des tableaux, pour demander s’il était intéressé. A son tour, il prit contact avec Ralph Yablon, qui, en consultation avec le Rabbin Harold Reinhart de la Westminster Synagogue, a acheté l’ensemble de la collection. La fondation Czech Memorial Scrolls Trust fut établie à Londres afin de restaurer les rouleaux et de les distribuer à des communautés de par le monde. Aujourd’hui, des centaines de synagogues affiliées à l’URJ, l’union du judaïsme libéral en Amérique du Nord et au-delà, sont les gardiens de ces rouleaux. Chaque rouleau est un survivant, un fragment de l’alliance porté en avant, proclamant que la Torah parle toujours, même après la dévastation. Quand des juifs progressistes déroulent un Sefer Torah tchèque à Chicago, Toronto ou Londres, ils sont reliés aux villes et aux voix du judaïsme tchèque.

Ce fut un Sefer Torah tchèque qui a inspiré le Rabbin Dr Andrew Goldstein de la synagogue The Ark à Londres, de rechercher les quelques juifs restant en Tchécoslovaquie post Shoah. Après la chute du communisme en 1989, il a établi un partenariat avec des responsables locaux et la EUPJ, l’union européenne pour un judaïsme progressiste, pour aider à rétablir des communautés à Prague et au-delà, gage que la vie juive progressiste pourrait de nouveau s’enraciner sur le sol tchèque. Ses recherches et celles de son équipe sur l’histoire des villes originaires des rouleaux tchèques, ont donné voix aux communautés d’où émanaient les rouleaux, créant des liens durables entre des juifs tchèques et des juifs progressistes de par le monde. Aujourd’hui, la communauté tchèque progressiste se renforce et gagne en confiance, fière d’avoir à sa tête le natif local, le Rabbin David Maxa, signe que l’alliance, autrefois portée à l’étranger, a été ré-implantée et est fleurissante.

En partant du voyage d’Abram vers l’inconnu, à la fuite de Isaac Mayer Wise de Radnice, aux rouleaux qui ont voyagé depuis des villes tchèques vers des communautés progressistes partout dans le monde, au renouveau du judaïsme progressiste en terre tchèque, l’histoire de la promesse de Dieu n’a jamais été ancrée en un seul lieu. Elle est portée dans l’avenir par le courage, la résilience et la foi.

Zomberg nous rappelle que dans Parashat Lech L’cha il ne s’agit pas uniquement de partir de chez soi, mais aussi de mettre en jeu l’identité même, afin de porter l’alliance vers de nouveaux futurs. Parashat Lech L’cha nous met tous au défi de déterminer lesquelles des normes de notre époque nous acceptons même si elles paraissent trahir notre tradition sacrée. Elle nous encourage également à trouver le courage d’entreprendre le voyage: de courir des risques, de nous bouger et de porter l’alliance vers de nouveaux horizons afin qu’elle reste vivace de nos jours.

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